L'Assemblée du Désespoir
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Résumé des épisodes précédents : John Lennon le vendeur de hot-dogs se pose des questions sur les accidents improbables qui lui arrivent ces temps-ci, et demande de l'aide au sorcier Neil l'Encore Plus Jeune. Une divination les mène sur la piste de la Chasseuse, Betty Printemps, mais avant qu'ils n'aient pu la contacter, deux ours attaquent les deux compères dans un parking.
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"GROOOOOAAA !" expliqua le colossal animal à l'humain effrayé.
Alors que son ami velu s'intéressait au magicien évanoui, le plus gros des deux plantigrades s'était approché pas à pas de John, qui s'était ainsi fait acculé dans un coin par un ours. Il marmonnait les quelques prières qu'il connaissait à la Grande Saucisse protectrice des hotdoguiers, mais savait sa fin proche. Quelqu'un voulait visiblement le voir mort, lui envoyant coup sur coup un tueur stupide, un météore volatil et maintenant deux assassins à poils, et surtout à crocs. Aucune cavalerie ne semblait se profiler à l'horizon, et seul un Dieu bon, éventuellement poète, et surtout doté d'un sens aigu du timing aurait pu le sortir de là.
Et l'ours se redressa sur ses pattes arrières
John se voyait déjà hanter un cimetière
La tête sous le bras, poussant sa plainte amère :
En bref devant la mort, il flippait grav' sa mère.
Alors un fouet qui claque, un cri d'autorité,
Des ours obéissants à l'ordre sus-cité,
Et rentrant humiliés vers leur trou inconnu :
Enfin l'humain comprend qu'il n'est plus au menu
Derrière lui, le manieur de fouet, le dresseur qui avait réussi à mettre ses agresseurs en déroute, était en fait une jeune fille. J'aurais aimé la décrire comme une magnifique apparition, aux jambes gracieuses et au sourire espiègle, aux seins galbés comme deux faons paissant au milieu des lys et à la chevelure soyeuse, mais je me dois d'être parfois honnête dans ce tissu de mensonges.
La jeune fille en question ressemblait moins à Sarah Michelle Gellar qu'à soeur Michelle Jailard, carmélite d'Angers. Quelque chose dans sa tenue, peut-être. Quelque chose dans sa coiffure, sûrement. Ou bien quelque chose dans ses cent kilos de muscles, les poils qui lui sortaient de la chemise, et sa voix qui grondait plus qu'elle n'articulait.
"...Mlle Printemps, je présume ? demanda John timidement.
- Voilà. Et ces ours ? Contre vous ? ...Qu'est-ce que vous faites là ? Qu'est-ce que vous avez fait ? Et vous êtes qui, d'abord ?
- Je suis John Lennon, et voici Neil le Jeune.
- ...Vous vous foutez de moi alors que je viens de vous sauver la vie ?"
Le hotdoguier entreprit alors de raconter les derniers événements, l'attaque de Kevin, la prophétie, les ours, le casque qui pouëte.
" ...Et vous cherchez quelqu'un pour aller en Enfer ?
- Exactement ! C'est une distillerie dans un petit village au nord-ouest de Paris, vous connaissez ?
- Et aller chercher noise au "maître des crétins" dans sa cache ? Le Roi des Kevs... C'est votre jour de chance, vous savez ?
- A part l'épisode où j'ai failli me faire bouffer ? Ouais, probablement.
- Le mot-clé ici est "failli". Je suis sur la piste des Kevs depuis quelques années déjà. C'était une loge franc-maçonne schismatique il y a longtemps, mais leurs principes ont dégénéré de manière inquiétante. Aujourd'hui, comme vous avez peut-être pu vous en rendre compte, au lieu de chercher à éclairer le monde ils se délectent des ténèbres de l'ignorance crasse ! Et ils ont de plus en plus d'adeptes innocents... Rah, je hais ces gens-là !
Pour un joli sourire et 1000 € hors frais, je suis votre homme. Ou votre femme, plutôt.
- Vous êtes ma femme pour 1000 € ? HihihihAÏE !
- Vous serez rémunérée comme vous l'entendrez, mademoiselle", intervint Neil qui était sorti de sa cachette pendant ce charmant dialogue.
John aquiesca, bien que vexé par la tape du Magickien sur sa nuque.
Unis par les liens de la paranoïa, de la curiosité, de l'argent et du calembour douteux, nos trois héroïques compagnons se rendirent du Chesnay à l'Enfer.
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Sur le trajet, ils mirent un peu de musique légère.
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"Donc on est censés porter ces machins ?"
Le créateur de cette phrase évoquant les plus beaux moments de la poésie française était Neil l'Encore Plus Jeune, détenteur de pouvoirs mystiques prodigieux et aléatoires, et nouveau propriétaire d'un pantalon manifestement destiné à un extraterrestre aux jambes courtes et beaucoup plus épaisses que celles d'un humain et qui aurait son petit derrière martien à peu près aux niveaux des chevilles.
"Te plains pas, j'ai un jogging", relativisa John.
"Enfilez ça et taisez-vous. Vs dvé parlé kom eu lol", se désola Betty.
Elle-même était affublée d'une jupe dont l'impudeur aurait choqué un lutteur grec, d'un débardeur moulant comme un plastique d'emballage de CD et d'autant de maquillage qu'il en faudrait pour déguiser le porte-avions Charles de Gaulle en scooter. Elle avait réussi à garder son fouet, cependant. Dans un sac à main.
Cachés dans les fourrés, ils observaient l'entrée de la distillerie souterraine de l'Enfer. Le boulanger de Wy-dit-Joli-Village (un ami de fac du hotdoguier) les avait renseignés, mais il leur avait simplement fallu suivre les allées et venues des pyjamas vivants et des jeunes décervelées, convergeant toutes vers ce point précis, qu'ils pouvaient désormais surveiller tout en réalisant leurs préparatifs.
"A bien y regarder, ils sont effectivement décérébrés... chuchota la Chasseuse.
- C'est vrai... Ils se dandinent et lancent des "mdr" sans signification tous les quelques pas !
- Nan, ça c'est comme les spécimens que j'ai déjà observés, John, mais là ils semblent vraiment concentrés sur une tâche cachée. Comme des centaines de fourmis. En moins mignon.
- C bon lé ga on é pré jkrwa. C lmomen, mdr", déclara Neil.
Et en effet, c'était le moment.
Bravant la folie, la mort et les exhalaisons d'alcool venues des entrailles de la cave, les trois clandestins s'infiltrèrent dans la distillerie à la suite d'un petit groupe de Kevs.
Suivant le flot naturel de cette foule étrange dans le souterrain, ils traversèrent des salles trop majestueuses pour être le simple fruit d'un architecte industriel, contournèrent des machineries colossales et poussiéreuses qui ronronnaient toujours et grimpèrent des escaliers aux marches baissées, parfaitement adaptées pour les uniformes des petits soldats de l'inculture comme ils purent s'en rendre compte.
Après une heure de ce régime, fatigant tant par la marche que par la tension issue de la peur d'être démasqués et immédiatement mis en pièces, l'atmosphère changea subtilement autour d'eux. Les "lol" se faisaient de plus en plus fréquents, témoins de l'agitation des Kevs, parcourant les ruelles souterraines sans but apparent mais avec un empressement visible.
Nos trois compères pêchèrent de leurs quelques phrases un peu construites le mot, de plus en plus fréquent, de "Mètr".
Le flux de Kevs devint plus régulier, se dirigeant finalement vers une unique destination.
Impossible de fuir, emportés par le mouvement. S'arrêter, c'était se faire piétiner sans état d'âme. D'ailleurs John se sentit marcher sur quelque chose de plus mou que le sol et qui gémissait, mais il n'eut pas le temps de s'excuser que déjà il était loin.
Enfin, une arche. Une gigantesque porte. Une salle majestueuse. Des centaines de pyjamas vivants derrière nos compagnons. Face à eux, une estrade monumentale, et un pupitre.
La rumeur de la salle. "...mètr... tavu lol... mètr... mdr... yva arriV tkt... le mètr... si si ! lol... le mètr... le mètr... LE MAÎTRE !"
Et dans la clameur de la foule, Lord K3vin fit son apparition.
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Quel "accrochage de falaise" !
Qui est ce Maître mystérieux ?
Est-il venu pour offrir des gâteaux ?
Quel horrible plan ourdit la Confrérie des Kevs ?
Est-ce que le prochain chapitre aura un nom aussi pompeux et hors de propos que celui-ci ?
Vous le saurez dans le :
Chapitre VI : La Prophétie du Saucisson
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